INTRODUCTION ET DÉFINITION
Thomas du Payrat : Pour commencer cet échange, pouvez-vous définir ce qu’est un port maritime territorial ?
Alain Bazille : Il convient d’abord de souligner que l’organisation des ports en France repose sur deux décentralisations : la première dans les années 80 et la seconde en 2000. En 1984, 403 ports ont été transférés aux départements, incluant les ports de pêche et de commerce. En 2006, les grands ports d’intérêt national ont été transférés aux régions. Aujourd’hui, je préfère les appeler “ports territoriaux” car ils sont ancrés dans les territoires et gérés par les collectivités territoriales, telles que les régions, départements et EPCI, notamment via des syndicats ou autres structures.

RÔLE ET IMPORTANCE DES PORTS TERRITORIAUX
Thomas du Payrat : chacun d’entre vous a deux exercé des responsabilités à l’échelle départementale et nationale. Comment voyez-vous le rôle des ports territoriaux ?
Dominique Bussereau : Je partage l’avis d’Alain, les ports territoriaux sont ancrés dans leurs territoires et varient en taille, allant des petits ports de pêche aux grands ports avec un trafic à l’échelle européenne ou extra-européenne. J’ai porté une loi en 2009 pour transformer les ports autonomes en grands ports maritimes. La Rochelle, par exemple, est devenu un grand port maritime, et c’est un sujet central dans la conférence que je vais présider sur le financement des mobilités et des infrastructures. La première partie de la conférence se concentrera sur le financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et les enjeux associés au déploiement des projets de services express régionaux métropolitains. La deuxième portera sur la refonte du système de financement des infrastructures de transport.
Je ne suis pas un grand fan de la loi NOTRe. Même si elle s’appelle “notre”, j’ai voté contre en tant que député, non pas parce que j’étais dans l’opposition, mais parce que je trouvais que cette loi était mal foutue. Un amendement porté par le Normand, Philippe Bas, sénateur de la Manche, a permis la création de ces fameux syndicats mixtes et autres outils de gestion, et je pense que là c’est un vrai progrès qui a permis, dans un port territorial, d’associer une région, un département, une agglomération, voire plusieurs agglomérations. C’est un progrès parce que sur un port plus on met de responsables autour d’une table pour gérer un équipement et porter des projets, mieux ça se fait et plus on dégage les moyens financiers. Et ainsi chacun se sent motivé.
GOUVERNANCE ET POLITIQUE PORTUAIRE
Thomas du Payrat : Vous mentionnez la coordination entre les différents niveaux de gouvernance depuis le local jusqu’au national, les outils comme les syndicats mixtes, les SEMOP, utilisés dans la gestion portuaire. Alain Bazille et Dominique Bussereau, vous en avez créé de nombreux. Quel est votre retour d’expérience sur ces outils ? En existe-t-il un qui serait adapté à toutes les situations ou chacun trouve l’outil adapté à son port ?
Alain Bazille : Chacun trouve effectivement l’outil en fonction de la façon dont son port est implanté et quelle est la politique portuaire qu’il veut développer. Pour ce qui est du Département de Seine-Maritime, nous avions des ports qui étaient en concession à des chambres de commerce et d’industrie, plus le port de pêche du Havre qui a été créé officiellement, comme la loi NOTRe nous le permet puisque seuls les départements peuvent créer un port de pêche.
Le port de pêche du Havre, qui était dans l’enceinte du grand port maritime, n’était pas géré à la hauteur de ce qui devait être et n’avait pas d’existence légale. Le Département l’a donc créé administrativement le 1er janvier 2019.
À partir de là nous avons travaillé à sortir de nos concessions, pour mettre en place un modèle de syndicat mixte en concertation et collaboration avec les EPCI dans lesquels nos ports étaient implantés. Parce que, tout d’abord les EPCI ont la compétence « développement économique » que le Département n’a plus depuis la loi NOTRe. C’est en fonction de l’organisation, de la concertation avec ces EPCI, puisque finalement ces ports territoriaux portent l’économie du territoire et servent au développement, que nous pensons que c’est l’outil le mieux indiqué.
Dominique Bussereau : Je partage le sentiment d’Alain sur l’intérêt de la formule du syndicat mixte. Je veux prendre à mon tour un exemple local. La Charente-Maritime abrite le Grand Port Maritime de La Rochelle. Deux ports de commerce sont très proches sur l’estuaire de la Charente, en amont de la Charente : Rochefort et Tonnay-Charente. Le Département en avait la compétence jusqu’en 2017 et il était géré par la Chambre de Commerce et d’Industrie jusqu’en 2022. Nous avons créé un syndicat mixte avec le Département et la Communauté d’Agglomération Rochefort Océan, qui a repris la gestion directe de ces deux ports.
La Charente-Maritime avait des ports spécialisés dans la pêche. Un port à La Rochelle à proximité du Grand Port Maritime. C’est un port qui avait été construit par le Département dans les années 85 et 90 et qui ne fonctionnait plus. Il était géré par la chambre de commerce et d’industrie. Là encore, le Département l’a repris en syndicat mixte avec la Communauté d’Agglomération de La Rochelle. Et on l’a développé, c’est-à-dire qu’on est sorti d’une situation où il perdait de l’argent pour l’amener à une situation convenable sur le plan financier. Il a une fonction très importante de plateforme de mareyage. On avait le sixième port de pêche en France à la Cotinière dans l’île d’Oléron. C’est un cas très particulier. J’aurais bien voulu faire un syndicat mixte. C’était un port municipal et il est devenu départemental, car dans ce cas précis, il fallait creuser un troisième bassin, élargir le chenal, créer une nouvelle criée. La Communauté de communes de l’île d’Oléron aurait pu être associée, mais c’était trop compliqué, trop cher pour elle. Donc, le Département a fait les travaux et le porte entièrement. Le maire de Saint-Pierre-d’Oléron est en même temps conseiller départemental, donc on a trouvé moyen d’associer la commune de Saint-Pierre-d’Oléron dans une gestion de proximité. À l’occasion d’un congrès l’ANPMT est venue visiter le nouveau port il y a quelques années.
Dans le cas de Royan, petite criée en volume mais qui commercialise des espèces nobles avec un prix moyen important. Comme parfois, en fonction de la météo, l’accès des pêcheurs du bassin d’Arcachon n’est pas possible, les marins arcachonnais viennent débarquer à Royan qui sert de base avancée. Dans le syndicat mixte comprenant la Communauté d’Agglomération Royan Atlantique et le Département, on a inclus un petit port de plaisance.
Pour les ports ostréicoles, traditionnellement la rive droite et la rive gauche du petit fleuve côtier de la Seudre se trouve dans le même état d’affection que la France et la Prusse avant la guerre de 70. On a réussi à faire la paix en créant un organisme commun avec toutes les communautés de communes ou d’agglomérations concernées, et le Département, pour gérer tous les ports ostréicoles.
Il existe un cas particulier que je n’ai pas pu régler pendant mes mandats y compris au niveau gouvernemental, ce sont les ports de l’estuaire de la Gironde qui, à partir de l’entrée de l’estuaire, après la limite de Saint Georges de Didonne et Meschers sont gérés par le Grand Port Maritime de Bordeaux. Or le Grand Port Maritime de Bordeaux n’en fait rien de particulier, il n’a pas de projet de développement pour ces petits ports de pêches estuariennes et de plaisance.
Alain Bazille
Comme la situation du port de pêche du Havre.
Dominique Bussereau
Cela fait des années que l’on dit au Grand Port Maritime : « puisque vous n’en faites rien, nous on les prend ». Quitte à faire un syndicat mixte, d’autant que les collectivités des deux rives sont rassemblées dans le SMIDDEST qui gère en particulier le phare de Cordouan. On a un bon outil pour gérer ces petits ports. Mais rien n’y fait. C’est dommage.
RELATIONS AVEC LES PARTIES PRENANTES
Thomas du Payrat : Vous mentionnez tous les deux l’importance des relations avec les parties prenantes, des relations entre les différentes collectivités, entreprises, citoyens, associations. Comment améliorer cette relation entre les parties prenantes ?
Alain Bazille : La stratégie que nous avons développée dans le cadre de ce syndicat mixte des ports de la Seine-Maritime, consiste à travailler par filière. On a lancé un appel d’offres pour la filière commerce en considérant que les entreprises connaissaient bien leur démarche. Un groupement d’entreprises s’est organisé pour répondre à la délégation de service public (DSP) commerce. Même chose pour la pêche, avec un délégataire qui est constitué autour de l’ancienne SEM de la criée de Fécamp et d’autres professionnels, de manière à ce que la filière soit maîtrisée par des connaisseurs.
Thomas du Payrat : SEM nouvellement créée, car la criée de Fécamp avait la particularité d’être une criée privée.
Alain Bazille : Oui, effectivement, c’est ce que j’appelle le premier étage de la fusée dans l’organisation portuaire de Seine-Maritime. À Fécamp, cette criée était gérée par un privé, partant à la retraite et sans repreneur. Le Département a dû prendre des dispositions pour assurer aux pêcheurs la pérennisation de cet outil de mise en vente des produits de la mer. Nous avons donc créé la SEM de la criée de Fécamp Côte d’Albâtre.
Thomas du Payrat : Revenons sur l’intégration des ports maritimes territoriaux dans leur environnement urbain, dans leur environnement social. Quelle est l’importance des relations ville-port ?
Alain Bazille : Les ports territoriaux sont vraiment situés dans la ville. Or ils doivent respecter les contraintes ISPS (International Ship and Port Facility Security[1]) qui font que nos ports de commerce sont fermés au public. Néanmoins, pour répondre à cela, nous sommes en train de créer des Ports Centers, de manière à faire de la vulgarisation auprès du grand public. Il s’agit d’expliquer ce qui constitue un port et tous les éléments qu’il peut apporter à l’économie sociale et la politique de la ville.
Dominique Bussereau : L’ISPS est une force et une faiblesse. Ces mesures ne permettent plus de voir sur nos ports les scènes célèbres de Tintin. Dans l’œuvre d’Hergé, seuls deux lieux portuaires français sont très précisément cités : le port de La Rochelle et le port de Saint-Nazaire.
C’est pareil pour les aéroports. L’aéroport de La Rochelle est situé au sein même de l’agglomération et face à l’île de Ré, à côté du grand port maritime.
Pour un port de pêche, cela ne pose pas de problème, au contraire, c’est un outil touristique. Quand le Département a refait le port de la Cotinière, on a créé un belvédère au-dessus de la criée pour que les promeneurs puissent voir l’activité du port en toute sécurité. Et pour les touristes, le port de pêche de la Cotinière est dans l’île d’Oléron le premier site visité.
Au port des Minimes, qui est le plus grand port de plaisance d’Europe avec plus de 5 000 anneaux, de nombreux étudiants qui fréquentent l’université à proximité logent dans les bateaux.
Thomas du Payrat : Le port des Minimes, justement, vient d’interdire le logement style Airbnb. Alors que la SELLOR à Lorient a internalisé cette activité en développant une activité de type logement insolite.
Dominique Bussereau : C’est un problème global, cela dépend de la grandeur du port. Il faut apprendre des problèmes environnementaux. Par exemple, l’arrivée des poids lourds quand le port se situe en centre-ville. Je pense au port de Tonnay-Charente, petit port à l’est de Rochefort déjà mentionné. Il faut construire des voies nouvelles. Ces voies nouvelles ne sont pas forcément acceptables par les plans d’urbanisme, par les riverains. C’est une force et une faiblesse. Le port en ville, c’est génial pour le tourisme, c’est parfois plus compliqué pour les habitants, surtout pour ce qui concerne leur desserte parce qu’en général ce sont plutôt des dessertes routières, bien qu’il y ait quelques dessertes ferroviaires. Par exemple, j’ai vu Jean-Claude Gayssot récemment et c’est ce qu’ils font à Sète avec une nouvelle ligne qui va rejoindre Cherbourg en ferroutage. Il y a des projets, et une fois encore on passe en cœur de ville. Quand vous allez à la gare maritime de Cherbourg, les trains passent au milieu de la circulation. Donc, force et faiblesse, et parfois réaction de la population un peu négative, surtout pour ceux qui ne travaillent pas directement ou indirectement au port.
DÉVELOPPEMENT DURABLE ET TRANSITION ÉCOLOGIQUE
Thomas du Payrat : Parmi les enjeux des ports maritimes territoriaux, mentionnons les stratégies de décarbonation et de verdissement des ports territoriaux. Alain Bazille, vous étiez, je crois, il y a peu à Concarneau, où vous avez vu la construction d’un cargo à voile.
Alain Bazille : Oui, d’ailleurs, je pense que le développement du transport à voile est intéressant pour les ports territoriaux, car il s’agit de transport de proximité. Je pense qu’il y a des enjeux extrêmement importants pour ces ports qui sont à taille humaine et permettent des échanges plus faciles de circuits courts.
Dominique Bussereau : Je suis un peu moins optimiste sur le transport à voile, même si de grands armements comme Louis Dreyfus s’y mettent. Il faut voir en termes de coût de construction, de rentabilité, de clientèle. Je crois beaucoup plus, à court terme, à l’électrification des ports et des postes à quai. J’ai été administrateur pendant 12 ans de CMA CGM. Je voyais du haut de la tour tous les navires partant vers la Corse, vers l’Italie, vers l’Algérie, en plein cœur de ville, avec leurs panaches de fumées. L’l’électrification des quais a démarré à Marseille. Elle est absolument indispensable, même si cela coûte beaucoup d’argent et ne peut se faire que progressivement. Je pense que nous n’aurons plus un port en France, plus un port de commerce ou même un port de pêche qui ne sera pas électrifié dans les 10 années à venir, en 2035.
Alain Bazille : C’est une évolution sur laquelle nous travaillons notamment pour les navires de transport de personnes. Nous projetons d’électrifier les quais de Dieppe et de Newhaven pour les liaisons transmanche.
Pour ce qui est de la transition énergétique des bateaux de pêche, c’est beaucoup plus compliqué car on ne sait pas quelle énergie sera utilisée à terme. L’ANPMT est donc en train de travailler avec l’Union des Armateurs à la Pêche de France (UAPF) et s’interroge sur les solutions pour décarboner les bateaux.
Thomas du Payrat : On parlait d’hydrogène, aujourd’hui on s’aperçoit que c’est un peu compliqué.
Dominique Bussereau : On assiste à un grand retour en arrière. L’effet de mode dans l’aérien est passé. Airbus a décidé de prendre son temps, alors que la compagnie évoquait initialement l’idée que ce serait opérationnel en quelques années. Dans le ferroviaire, les expériences en Allemagne, n’ont pas donné de résultats merveilleux. On s’oriente plutôt vers le développement de trains mixtes avec des batteries et des moteurs diesel, plus propres évidemment. Ce qu’on appelle des îlots d’électrification, c’est-à-dire que, sur une ligne non électrifiée, le train s’arrête dans une gare, il se recharge en quelques minutes à la caténaire et il repart pour la station suivante, sans qu’on soit obligé d’électrifier l’ensemble du secteur. Actuellement en matière d’hydrogène il y a beaucoup de discours, mais les réalisations concrètes sont rares. De plus, on n’est pas encore capable de produire en quantité de l’hydrogène vert. J’espère qu’on y arrivera un jour, mais pour l’instant, je ne vois pas une flotte de pêche européenne fonctionnant à l’hydrogène dans les 20 prochaines années.
Alain Bazille : Ce qui pose pour les ports une difficulté parce que, ne sachant pas quelle énergie sera utilisée à terme, comment organiser l’avitaillement et pour quelle énergie ?
INNOVATION ET COMPÉTITIVITÉ
Thomas du Payrat : Comment les ports territoriaux peuvent-ils améliorer leur compétitivité et innover ?
Alain Bazille : Les ports connectés sont d’actualité. Nous devons nous inscrire dans cette démarche pour rester compétitifs.
Dominique Bussereau : Il faut convaincre les gestionnaires de ports et les professionnels d’investir dans la digitalisation et les nouvelles technologies. Cela nécessite des financements nouveaux et une volonté politique forte.
Moi je vois chez moi la particularité de l’ostréiculture. Pendant longtemps son marché était français, puis un peu européen. Maintenant on exporte des huîtres dans le monde entier, en partie en Chine, où elles d’ailleurs copiées. C’est quand même incroyable, les huîtres Gillardeau ont été copiées. L’entreprise a innové dans des gravures au laser pour éviter la copie, et maintenant ces moyens sont à nouveau copiés. Avant on allait à la gare avec la brouette, on mettait les bourriches dans le train et ça partait. Maintenant les producteurs les commercialisent eux-mêmes à des grandes surfaces ou dans le monde entier, donc la destination c’est Roissy, c’est FedEx, DHL ou les soutes d’Air France.
ENJEUX SOCIAUX, ÉCONOMIQUES ET GÉOPOLITIQUES
Thomas du Payrat : Comment améliorer l’attractivité des métiers et le développement de l’emploi-formation dans et autour des ports ?
Alain Bazille : À Fécamp, nous avons la chance d’avoir un lycée maritime, donc c’est un élément extrêmement important. On peut accompagner la formation.
Dominique Bussereau : C’est vrai que les outils de formation se développent, les CFA de proximité, la Chambre des métiers, mettent en place des structures de formation. Quand on voit les retombées en termes d’emplois directs et indirects d’un port, cela ne peut que susciter l’intérêt pour les métiers qui sont nombreux dans nos ports.
Alain Bazille : Sur le plan de la formation et des métiers, je considère que notre rôle au niveau des Ports Centers, c’est de montrer la diversité des métiers au grand public, de manière à susciter l’intérêt pour les métiers qui sont nombreux dans nos ports.
Thomas du Payrat : Avez-vous une idée du nombre d’emplois générés par les ports maritimes territoriaux ?
Alain Bazille : Oui, un travail a été fait avec l’APLM et l’Insee, 27 000 emplois directs et indirects ont été estimés entre Calais et Douarnenez, sur l’ensemble de la Manche.
ÉCONOMIE CIRCULAIRE ET ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE
Thomas du Payrat : Vous avez mis en place en Seine-Maritime des démarches d’économie circulaire, d’écologie industrielle et territoriale autour des ports.
Alain Bazille : Oui, le Département de la Seine-Maritime a répondu à un appel à projet de la Région et de l’ADEME en 2021 concernant les deux ports du Tréport et de Fécamp, pour travailler avec les entreprises de l’hinterland. C’est un vivier extrêmement important puisqu’on travaille dans la proximité avec les entreprises. Je prends un exemple qui est intéressant dans le cadre de cette économie circulaire : on a pu démontrer que sur la coquille Saint-Jacques, un déchet que l’on ne sait pas traiter, on a fait une expérience de concassage de cette coquille avec une usine d’engrais qui est implantée sur le port du Tréport. Cette expérimentation fonctionne bien, et permet la réutilisation des coquilles dans la fabrication d’éléments minéraux pour le traitement des sols. C’est un exemple de réussite d’économie circulaire.
Dominique Bussereau : Autre exemple dans l’agglomération rochelaise. Des petites entreprises qui travaillent sur tout ce qui vient des bateaux de plaisance, les voiles, les cordages, pour les recycler en sacs à main, en sacs de voyage, en sacs de sport, en objets décoratifs ou utilitaires. Avec en prime une action d’insertion. C’est un très bon exemple car on revend à prix fort des « déchets » qu’auparavant on jetait, qu’on essayait de brûler, de faire disparaître. Je suppose qu’il y a beaucoup d’exemples en la matière et c’est vrai que c’est plus facile à l’échelle d’un port territorial d’organiser cela.

CULTURE MARITIME ET ATTRACTIVITÉ
Thomas du Payrat : Les fêtes maritimes comme « Fécamp grand’escale » sont une réussite populaire. Quel rôle jouent les ports territoriaux dans la culture maritime ?
Alain Bazille : Elle est importante parce qu’en réalité beaucoup de nos ports territoriaux ont une histoire extrêmement riche. Le passé nourrit l’avenir. Je pense à Fécamp, la charpente de marine avec la construction de bateaux emblématiques comme les goélettes de la Marine nationale l’Etoile et la Belle Poule. C’est une culture qu’il faut poursuivre de manière à ce que la population puisse appréhender la vie maritime autour de notre port.
Dominique Bussereau : L’attractivité d’un port, ce sont les industries qui sont autour. Prenons l’exemple des Sables d’Olonne ou de la région de La Rochelle. C’est en Vendée et en Charente-Maritime que sont les plus grands chantiers de plaisance français. Les deux plus grands salons de plaisance en France – pour la voile le Grand Pavois de La Rochelle et Cannes pour les yachts et bateaux à moteur – se déroulent dans des ports. À tel point d’ailleurs que le salon Nautic a fermé ses portes à Paris. Si le Maire de La Rochelle Michel Crépeau n’avait pas eu le culot il y a 50 ans de créer plusieurs milliers d’anneaux de plaisance, je ne suis pas sûr que l’industrie de la plaisance en Charente-Maritime se serait autant développée.
RÉFORMES ET PERSPECTIVES D’AVENIR
Thomas du Payrat : Dominique Bussereau, vous avez porté une importante réforme portuaire. Aujourd’hui, quelle réforme selon vous serait nécessaire pour améliorer les ports territoriaux ?
Dominique Bussereau : À cause de la situation d’instabilité politique actuelle en France – le ministre de l’Aménagement et de la Décentralisation, François Rebsamen – a dit très clairement qu’il n’y aurait pas de nouvelle étape de décentralisation avant 2027 – on ne peut améliorer la situation qu’à la marge. Si j’étais au gouvernement et si j’avais la capacité de faire adopter un texte par l’Assemblée nationale, concernant les Grands Ports Maritimes j’essaierai de revoir la composition des conseils de surveillance. Parce que, même s’il y a des problèmes de conflits d’intérêts, le fait que les grands acteurs maritimes ne soient pas dans les conseils d’administration, c’est gênant. Idem pour les ports territoriaux.
Et puis il faut revoir les contrats État-régions. Soyons clairs, dans les contrats de plan État-régions signés à l’époque de Manuel Valls, on mettait de l’argent des Départements et des Régions dans les Grands Ports Maritimes. On avait donc des infrastructures d’État, mais avec des financements des collectivités. Malheureusement l’État, quels que soient les gouvernements depuis maintenant 15 ans, ne respecte pas les contrats État-régions. On n’a même pas achevé les opérations des contrats de plan précédents qu’on est en train de signer ou de commencer de nouveaux contrats de plan. Il y a donc un problème de la parole donnée de la part de l’État, et aussi d’ailleurs des collectivités qui parfois changent d’avis en fonction des changements politiques.
Sur le plan aéroportuaire, on ne va pas construire de nouveaux aéroports. On n’a pas de gros travaux aéroportuaires qui ne puissent être financés par les sociétés et concessionnaires des 10 aéroports quand ils sont en concession. Donc, il faut mettre le paquet dans les financements publics sur les ports, sur le ferroviaire, et le développement du fluvial à grand gabarit quand il permet d’améliorer la desserte des ports.
Alain Bazille : Je considère qu’il y a une nécessité de travailler sur l’organisation de la mise en marché de la pêche. On a une pêche qui est en difficulté. On importe 80 % des produits de la pêche en France alors que l’on connaît la richesse de nos pêches. Il est donc important aujourd’hui de travailler sur l’organisation de la mise en marché. Les criées souffrent. L’idée, et je pense que les groupements de pêcheurs sont d’accord, c’est que tout passe en criée. Il faudrait peut-être mettre en place une loi Egalim comme on l’a fait avec l’agriculture. Je pense qu’il y a une nécessité d’un travail en profondeur.
Dominique Bussereau : Je voudrais dire un mot sur l’Union européenne. J’ai été ministre de l’Agriculture et de la Pêche pendant 3 ans. J’ai participé à cette époque à tous les conseils des ministres de la pêche, dont le fameux Conseil de fin d’année TAC et quotas. On passe la nuit à discuter d’un poisson inconnu en Baltique pour avoir le vote du pays balte le lendemain pour défendre son choix entre la France et l’Espagne. On est arrivé à un moment où il faudra que l’Europe ait une position plus claire sur la politique de la pêche. À l’instar du Conseil d’État français qui ferme le golfe de Gascogne. Même si la défense des dauphins est une cause noble, on ne peut pas fermer une zone de pêche. C’est comme si on disait à Renault : on ferme toutes les concessions au mois de janvier. Il faut mettre en place une politique réaliste. Il faut vraiment que l’Europe et les États membres soient davantage porteurs de leur politique de la pêche. Parce que le coût des bateaux est énorme et le métier est difficile. On ne peut pas fermer les zones de pêche tous les ans pendant un mois, imaginez ce que le golfe de Gascogne représente comme zone de pêche entre la Bretagne et la côte ibérique. Ce sont des décisions légales mais absolument insensées. Comment les collectivités locales vont-elles mettre de l’argent pour moderniser une criée, moderniser les quais d’un port de pêche ou les électrifier, si la profession elle-même est en difficulté. Il y a un vrai enjeu de l’avenir de la pêche européenne et de la pêche française. Il faut que les pouvoirs publics aient une vision positive de la pêche et ne soient pas en permanence sur la défensive. Par exemple, concernant les dauphins, des solutions techniques sont en train d’avancer.
ROBUSTESSE ET RÉSILIENCE
Thomas du Payrat : Le Brexit, personne ne s’y attendait. La crise COVID nous est tous tombés dessus. Le changement climatique est là. Comment améliorer la robustesse et la résilience des ports ?
Alain Bazille : Les conséquences du réchauffement climatique, des submersions marines dans nos ports sont un sujet sur lequel il va falloir travailler rapidement, avec des aménagements importants qui seront nécessaires à l’atténuation des impacts. On ne pourra pas déplacer les ports. Les enjeux financiers qui se présentent à nous sont importants.
Dominique Bussereau : La France est une grande puissance maritime mondiale. Mais elle n’a pas toujours une organisation claire. Regardez l’organisation actuelle du gouvernement et des attributions ministérielles. Il y a une partie des compétences chez Madame Agnès Pannier-Runacher, une partie à l’Agriculture. C’est absurde. Un ministre de la Mer ? Peu importe, mais au moins une unité. Soit c’est le ministre des Transports, soit le ministre de l’Agriculture, soit il y a un ministère de la Mer qui reprend tout. Je suis membre de l’Académie de Marine, on le dénonce souvent. L’organisation actuelle de la mer au sein de l’État, des régions, si on ajoute à cela les différents interlocuteurs en matière de formation, c’est la Suisse à 50 cantons…
CONCLUSION
Thomas du Payrat : Pour conclure sur un point plus personnel, pourquoi cet intérêt pour les ports Dominique Bussereau ?
Dominique Bussereau : Je suis passionné par tout ce qui concerne les transports et l’aménagement du territoire depuis mon enfance. La France est une grande puissance maritime mondiale, et il est crucial de bien organiser et développer nos ports pour maintenir cette position.
J’ai appris à lire dans « la vie du rail » parce que ma mère était bibliothécaire de la SNCF donc j’ai lu tous les numéros de cette revue depuis 1945. À l’époque, je n’avais pas de grandes connaissances maritimes. Il se trouve que j’ai fait ma vie publique en Charente Maritime et les ports m’ont passionné.
Je trouve que tout s’enchaîne. L’attractivité d’un pays comme la France, c’est sa capacité à avoir des places aéroportuaires de niveau mondial et des aéroports régionaux. Pour le ferroviaire on a un pays très bien maillé. Les capillaires forment un réseau ferroviaire puissant, avec tous les trafics qui augmentent : les TGV, les Intercités augmentent, les TER explosent. La France possède quelques grands ports et un réseau de ports territoriaux, avec un maillage très important sur le territoire. Ce sont des atouts d’attractivité pour la France, tout comme notre savoir-faire. Dans le domaine du transport, nous avons de forts atouts comme CMA CGM armateur ou Transdev et Keolis qui exploitent des métros, des tramways, des trains dans le monde entier et sont reconnus à l’échelle mondiale. Nos ports c’est pareil. Ces ports territoriaux, que certains pensaient voir disparaître, augmentent chaque année leur tonnage ; ils investissent, ils prennent des initiatives, ils sont parfois plus dynamiques que certains Grands Ports Maritimes qui ont encore une gestion un peu trop étatique à mon avis.
Thomas du Payrat
Alain Bazille, pourquoi cet intérêt pour les ports à titre personnel ?
Alain Bazille
J’ai vécu depuis mon enfance à proximité de Fécamp où j’ai exercé toute ma vie professionnelle. J’ai donc un attachement particulier à ce port. Je suis né au moment où la pêche à la morue vivait encore ses grandes années, avec un port qui était rempli de bateaux à différentes périodes d’escale. Et puis un port c’est une entreprise et j’ai l’âme d’un entrepreneur. Quand le président Martin m’a donné une vice-présidence en 2015, compte tenu de mon de mon activité professionnelle d’expert-comptable je me disais que j’allais peut-être hériter des finances. Il me dit « je te donne les routes ». Les routes, je n’y connais pas grand-chose, je lui ai répondu « je veux bien à condition que tu me donnes les ports avec ». J’ai un attachement particulier à la vie portuaire. Les ports territoriaux sont des atouts d’attractivité pour la France. Ils sont dynamiques et investissent dans des projets qui profitent à l’économie locale et nationale.
Thomas du Payrat
Et pourquoi avoir créé l’Association nationale des ports maritimes territoriaux ?
Alain Bazille
L’ANPMT est issue de l’association des ports locaux de la Manche (APLM). Elisabeth Borne, qui était alors ministre des Transports, et le ministre de l’Agriculture Stéphane Travers m’ont dit « vous devriez vous orienter vers une association nationale » et c’est de là que vient l’ANPMT. Dès sa création, nous avons travaillé à l’accueil de nouveaux membres dont la Charente-Maritime.
Dominique Bussereau est un homme politique français né le 13 juillet 1952 à Tours. Il a occupé plusieurs postes ministériels sous les présidences de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Il a été Secrétaire d’État aux Transports, Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et de la Ruralité, et Secrétaire d’État au Budget et à la Réforme budgétaire. Depuis 2008, il est président du conseil départemental de Charente-Maritime et a également présidé l’Assemblée des départements de France de 2015 à 2021. Il a été député de la Charente-Maritime et maire de Saint-Georges-de-Didonne
Alain Bazille est vice-président du Département de la Seine-Maritime, en charge des infrastructures, des Ports et du littoral. Il est le président de l’Association Nationale des Ports Maritimes Territoriaux (ANPMT). Président du Syndicat Mixte des Ports de la Seine Maritime, Président Syndicat Mixte du Littoral de la Seine-Maritime, Président du Syndicat Mixte Transmanche, Chairman de NPP Port Newhaven. Sous sa direction, l’ANPMT promeut les intérêts des ports maritimes territoriaux, en facilitant les échanges et en représentant ces ports auprès des instances nationales et européennes.
Thomas du Payrat est co-fondateur et président de Mariteam, bureau d’étude en économie bleue et société à mission. Économiste spécialisé, il intervient sur tous les littoraux en France (hexagonale ou ultramarine) comme à l’international. Après avoir enseigné de nombreuses années au Canada, il est chargé de cours à La Rochelle Université.
[1] entré en vigueur le 1er juillet 2004, le Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (ISPS) constitue la base d’un régime de sûreté complet et obligatoire pour le secteur des transports maritimes internationaux dans le cadre de la Convention SOLAS